Destination : 178 , Découverte


LA DECOUVERTE

Il ferma avec soin sa valise. Demain matin, très tôt, un taxi le conduirait à l'aéroport et l'aventure débuterait. Atterrissage à Manchester puis le train jusqu' Windermere. A la gare, une voiture l'attendrait pour l'amener à Ambleside au coeur du parc national du Lake District.

Il était plus de vingt heures et Marseille continuait à suer aux terrasses des cafés. Lui, avait pris une douche froide et attendait sa femme, en pyjama, allongé sur un transat dans son minuscule jardin, un bouquin policier dans les mains et à ses pieds un verre de rosé frais qu'il venait de déguster.



"Comme je t'envie !" lui lança-t-elle en arrivant vivement comme une tourterelle. Il leva le nez de son bouquin. Elle était si jolie dans sa robe largement décolletée. La grâce naturelle de sa femme l'ébahissait sans cesse. Quelle tristesse qu'elle ne soit pas du voyage. L'hôpital de la Timone, où elle travaillait comme infirmière, l'avait réquisitionnée. Le secteur des enfants était en ébullition : il semblait qu'une épidémie de bronchiolite, venue d'Asie, se soit déclarée.

"Mais tu partirais seul ? Tu ne sais pas l'anglais !" C'était vrai et pourtant il faisait des efforts. Il avait acheté une méthode qui vantait l'apprentissage de la langue anglaise en moins de trois semaines. Un échec. Ses collègues à "l'Evêché" se moquaient de lui "Monsieur le commissaire Martellat se prive de cantine pour apprendre l'English ! Il prépare sa retraite. "



Il serait à la retraite à la fin du mois et il avait décidé découvrir le monde avec ou sans sa femme.



"Pourquoi n'irais tu pas en vacances dans les Alpes, chez ta soeur ?" avait-elle, du bout de la langue, proposé. "Chez la vieille bique pas question !" Avait-il pensé. C'était sa soeur jumelle et déjà dans le ventre maternelle, ils se fichaient des coups de poings et de pieds pour garder la meilleure place. "Tous les marseillais transhument dans les Alpes l'été. Je risquerais de tomber nez à nez avec un voisin ou un collègue" Il avait répondu d'une voix calme et ferme.



The Lac District, c'était une idée de Norbert, un anglais, un ancien légionnaire, patron d'un bar déguisé en pub, avec qui il aimait pêcher et boire quelques bières irlandaises "Paradise! and so romantic" avait dit Norbert en faisant un clin d'oeil.

Il avait rêvé d'un voyage en amoureux avec sa femme. Elle avait dit oui, elle qui lisait Agatha Christie et John le Carré dans le texte. Il en était fier et vexé. "J'ai toujours eu beaucoup de facilités à apprendre l'anglais à l'école" disait-elle modestement.

Ce n'était qu'une pauvre enfant de la DASS qui avait sans cesse lutté pour devenir quelqu'un. Le commissaire Martellat la vénérait et malgré les nombreuses années de mariage, il en était toujours amoureux comme un jeune homme.



Le voyage s'était admirablement passé. Il n'avait côtoyé que des voyageurs parlant parfaitement le français dont un étudiant en architecture d'origine iranienne, qui ne tarissait pas d'éloges à l'égard de Le Corbusier et de sa Citée Radieuse. Le commissaire Martellat avait osé avouer qu'à Marseille on appelait affectueusement l'architecte "le fada". Cela n'avait pas découragé l'étudiant qui avait veillé sur lui comme sur un père et avait facilité son périple.

Martellat avait décidé de réviser toutes ses idées reçues sur les iraniens.



Il arriva fort tard à la gare de Windermere. Une pluie drue l'attendait. Il se souvint qu'il n'avait pas apporté de parapluie.

Elle avait débuté en gouttes légères et poétiques sur le paysage dès le départ de Windermere. Il était presque ému, cette pluie vaporeuse sur un paysage vallonné, verdoyant, taché de blanc par les troupeaux de moutons, de hautes et rares maisons d'un blanc riant ou d'un gris sombre ecclésiastique. Elle aurait dû être près de lui et murmurer "Mon dieu ! Comme c'est beau !".

Il fut triste. Puis la pluie s'était épaissit en rideau sale. Il s'était endormi.



Un gaillard aux cheveux dégoulinant et au large sourire brandissait une pancarte sur laquelle figurait son nom. Martellat se dirigea ver lui mi-endormi, mi-bougon.

"On y va !" Encore un qui parlait le français.

Décidemment l'agence de voyage avait bien fait les choses. Il faut dire que le commissaire avait mauvaise réputation auprès des commerçants marseillais . Il faisait toujours ce qu'il promettait. Aussi était-il soigné avec un zèle et une efficacité que l'on réserve aux fauves.



Ils roulèrent environ deux heures au son d'une musique grecque. Dimitri, l'expatrié volubile, décrivait le "Cottage" et tout ce qui serait possible de faire comme merveilleuses promenades à pieds, à vélo, en bateau, dès la pluie rentrée dans ses appartements. "Je suis tombée amoureux de cette vieille chose du 18ème en ruine. J'ai sacrifié des années d'économies pour lui donner une seconde vie. Je suis certain qu'elle vous plaira."



Après deux ouzos et une grosse part de cake salé, le commissaire demanda à se coucher.

Il ouvrit l'antique fenêtre à meneaux. Le pluie avait calmé ses tambours. Le lac, tout proche bruissait, gémissait, chantonnait, comme un enfant cherchant le sommeil. Un cygne le dérangea en poussant un" gaoh" mécontent.



Avant de se mettre au lit, il fit le tour de sa chambre et, brusquement stupéfait, il s'arrêta devant une vieille photographie, jaunie, qui tentait de se cacher derrière un bouquet de fleurs séchées dans une vitrine.

C'était un portrait, le portrait craché de sa femme.



Qu'est-ce qu'une ressemblance ? Quelque chose qui se vérifie ! pensa le commissaire Martellat. Il ouvrit délicatement la vitrine, saisit le vieux cadre d'argent noircie qui emprisonnait la photo, la libéra et la glissa délicatement dans les profondeurs protectrices de son portefeuille. A présent, le cadre semblait veiller sur une plage du Nord à marée basse.

Comme il savait discipliner son sommeil, il décida de dormir profondément. Il fallait être en forme pour affronter la forêt des énigmes.





FIN

EVELYNE W